Ville d’Assouan
Considérée comme la plus belle ville du Nil, Assouan est un lieu privilégié. Ici se bousculent des siècles d’histoire, un fleuve légendaire et un désert immense. Point de départ de toutes les croisières sur le lac Nasser voguant à destination d’Abou Simbel ou descendant le Nil en direction des temples de Louxor.
Située à l’emplacement de la première cataracte, barrière naturelle infranchissable pour leurs bateaux, Assouan était la dernière frontière des Egyptiens, la dernière trace de civilisation avant la Nubie, ce pays vide, aride, peuplé de tribus rebelles. Aujourd’hui encore, Assouan reste empreinte de cette ambiance, de ce mystère que possède toute ville posée au carrefour du temps et au milieu de nulle part.
16 heures. Je me dépêche. Sur le bateau, le guide m’avait prévenu : » Dès qu’on accoste, prenez la Corniche et grimpez jusqu’au belvédère. Vous aimez la photo et les belles couleurs. Alors, là-haut, vous serez servi « . Le soleil a déjà commencé sa dégringolade habituelle. Les ombres s’allongent et les murs d’argile peu à peu se couvrent d’or. Peu m’importent les amoncellements de felouques et les appels des marins. Demain tout cela. Une seule obsession, grimper car le coucher de soleil n’attend pas. Voici le petit square du belvédère. Enfin ! Et quelle joie. Le Nil est là, à mes pieds. Les falaises de grés et de sable se parent des couleurs du couchant. Une noria de felouques navigue entre îles et papyrus. Les voiles, pour quelques instants encore, accrochent les derniers rayons de soleil. Au loin, la ville d’Assouan, calme et assoupie. Quelques rires me parviennent des jardins et de la piscine de l’hôtel Old Cataract. L’ocre de la façade et le bleu azur de la piscine tranchent singulièrement avec les eaux sombres du fleuve sacré et nourricier des Egyptiens. L’instant est magique, la vue magnifique et je suis seul, absolument seul à profiter de ce moment précieux.
En chemin, j’avais promis à un marin enturbanné plus coriace que les autres que, demain, promis, j’irai avec lui faire un tour en felouque sur les eaux assagies par la construction du fameux barrage. Un projet pharaonique que ce barrage. Long de 4 km, haut de 114 m et épais à sa base d’1,5 km, le Sadd al-Ali, a nécessité onze années de travail, mobilisé 30.000 hommes et déplacé un volume de roches équivalent à dix-sept fois celui de la pyramide de Chéops. Ce monstre accoucha du lac Nasser, véritable mer intérieure de 500 km de long et d’une capacité de 164 milliards de m3. Dans le même temps, Assouan passait de 50.000 habitants à plus de 200.000. La dernière frontière venait de changer de visage. Lieu de villégiature chanté, déjà, par les Grecs et les Romains, Assouan était appréciée d’une poignée d’initiés, de voyageurs cultivés et d’explorateurs assagis. Lieu de départ ou d’arrivée de toute croisière sur le Nil, Assouan connaît désormais une affluence grandissante. Mais qu’importe.
A felouque sur le Nil, à pieds dans le capharnaüm du souk ou les carrières de granit, en bateau sur le lac Nasser ou en avion vers Abou Simbel, les gens ici se croisent, changent et s’en vont, créent un rythme qui fait aussi le charme d’Assouan.
Le nom même de la ville est né du mouvement. Au temps des pharaons, elle s’appelait Souenet qui veut dire marché. Marchands soudanais et nomades du désert vendaient ici l’ivoire, l’or, les épices et les étoffes venus du fin fond du continent noir. Le souk actuel n’a rien perdu de ses couleurs et de ses odeurs. Certes, ses étalages se sont enrichis de denrées et de gadgets plus contemporains mais il y règne toujours une même effervescence.
Demain déjà et mon capitaine ne m’a pas trouvé très drôle. » Ecoutes, je suis désolé mais je fais d’abord un tour à Philae et promis ce soir, je viens avec toi » lui dis-je. Un sourire, une grande claque dans les mains et l’affaire était emballée. Le calcul était simple. De bon matin, le site est désert et la lumière plus belle.
Sauvé des eaux dans les années 1970, le temple de Philae est un navire en partance pour l’intemporel. Ses deux pylônes ressemblent aux cheminées d’un paquebot et les colonnes du Mammisi en sont les coursives. On accède au sanctuaire comme à une passerelle à travers un dédale de couloirs et de salles obscures. Isis, maîtresse des lieux, pleure Osiris, son cher époux enterré sur l’île voisine de Biga. Le culte de cette femme amoureuse, repris par les Grecs et les Romains -en témoignent les cartouches des empereurs Auguste, Tibère, Caligula ou Néron et surtout le superbe kiosque de Trajan- sera le dernier à résister à l’évangélisation. Au IV siècle de notre ère, le temple d’Isis deviendra une église dédiée à saint Etienne.
Je quitte mon navire de pierre pour celui de bois. Ma felouque attend. Glisser sur les eaux du Nil, c’est accomplir un rêve d’enfance, comme prendre le Transsibérien, rouler sur la Panaméricaine ou passer le cap Horn. Et voici que ses eaux filent sous l’étrave dans un silence incroyable. La felouque longe la falaise qui abrite la nécropole nubienne et le mausolée de l’Aga Khan, flirte avec les dos luisants des rochers de l’île Eléphantine, ancienne capitale des pharaons, laisse à tribord la verdoyante île-jardin botanique de Lord Kitchener. Je n’ai pas voulu un mot d’explication préférant rêver à une improbable rencontre avec le replet Hapi, dieu du Nil et de l’abondance, Khnoum, le maître des crues à tête de bélier, et les belles Satis et Anoukhis, déesses des eaux. Que sont-ils devenus depuis le barrage ?
Hapi a sûrement maigri faute de limon pour fertiliser les terres, Khoum a sans doute changé de métier. Satis, à la tête ornée de cornes d’antilopes, et Anoukhis, parée de plumes d’autruche ont peut-être été dévorées par les carpes géantes qui, dit-on, hantent les profondeurs du lac Nasser.