Arrivée à Louxor Eugène Poitou
J’ai dit que la rive est très-haute du côté de Louxor; si bien que du pont de la « Gange » nous ne voyons rien, que le fleuve. Mais à peine montés sur le quai, nous avons devant les yeux un spectacle saisissant : Louxor.
Le 27 au matin nous étions debout de bonne heure, éveillés par une curiosité qui n’était pas sans émotion. La matinée était calme, l’air doux et limpide, le ciel de cette pureté incomparable qui est le privilège Louxor et de la haute Egypte. Ici plus de brouillards, même sur le fleuve; point de nuages qui voilent l’éclat du soleil : quanl à la pluie, c’est un phénomène à peu près inconnu. Lorsqu’il tombe, par aventure, quelques gouttes d’eau de ce ciel toujours serein, les enfants sortent aux portes, comme chez nous pour admirer une éclipse ou une aurore boréale.
J’ai dit que la rive est très haute du côté de Louxor; si bien que du pont de la « Gange » nous ne voyons rien, que le fleuve. Mais à peine montés sur le quai, nous avons devant les yeux un spectacle saisissant. En face, le soleil se lève derrière un majestueux portique, formé d’une double rangée de colonnes; à l’extrémité de cette colonnade, se dresse un obélisque; tout alentour, sont entassées les huttes basses d’un village, surmonté de ses pigeonniers blancs criblés de trous : c’est Louxor et son palais. Vers le nord, en descendant le fleuve, derrière d’épais massifs d’arbres, s’étendent les ruines de Karnac que nous avons saluées hier en passant.
En nous retournant, nous embrassons d’un regard toute la rive gauche du Nil, et nous pouvons d’ici, à vol d’oiseau, prendre une idée générale de ces ruines immenses semées sur un vaste espace.
La vallée a ici, d’une chaîne de montagnes à l’autre, quatre à cinq lieues de largeur. La ville de Thèbes était assise sur les deux rives : on suppose que la communication se faisait d’une rive à l’autre par un pont de bateaux, car l’on n’a retrouvé aucun vestige de pont en pierres. La véritable ville, la ville d’Ammon occupait la rive droite, la rive orientale où nous sommes : la ville de la rive gauche confinait à la nécropole, laquelle était placée, comme toutes les nécropoles, à l’occident : l’occident est la région des morts.
Sur cette rive gauche, qui forme une large plaine toute revêtue en ce moment de moissons verdoyantes, trois groupes de monuments se montrent, à de grands intervalles. A droite et tout au nord, on distingue le petit temple de Gournah : il fait face à Karnac ; plus haut, en remontant le fleuve, un vaste monument que Champollion a appelé, du nom de son constructeur Ramsés, le Ramesséum; tout à côté, au milieu de la plaine, les deux colosses, dont l’un est celui de Memnon , et qui ressemblent à d’énormes tours; puis enfin, en remontant encore vers le sud, un grand amas de ruines qui porte le nom d’un village voisin, Médinet-Abou. Derrière ces trois groupes de constructions, et parallèlement au fleuve, s’étend la chaîne Libyque : ses flancs, jaunes et décharnés, sont creusés de grottes funéraires; ce sont les tombeaux des particuliers. Enfin, dans une vallée étroite qui s’enfonce au delà de Gournah dans le massif des montagnes, se trouvent les tombeaux des rois, vastes catacombes excavées dans le rocher.
Voilà ce qui reste de l’antique Thèbes, la cité sainte, la rivale .opulente de Memphis et de Babylone : quelques monceaux de débris épars dans une plaine qu’elle couvrait jadis de ses palais et de ses temples. Déjà, il y a dix-huit siècles, Juvénal cherchait dans le sable les vestiges de ses 100 portes dont parle Homère. Aujourd’hui, son nom même, ce nom qui a rempli le monde, ne vit plus que dans l’histoire. Jamais sans doute il n’a frappé l’oreille des misérables fellahs qui habitent parmi ses ruines; et dans la langue des hommes qui foulent sa poussière sacrée, la cité des Pharaons n’a plus, hélas! d’autre noms que le nom barbare des villages de boue qui se sont élevés à l’ombre de ses murailles à demi renversées par les siècles.
Nous devons rester six jours à Louxor. Ce n’est pas trop pour voir et revoir, même en simples curieux, ces incomparables monuments. Il est convenu que nous commencerons par la rive gauche. Agostino a déjà traité avec un chef d’aniers, qui nous fournira des montures et nous servira de guide. Nous aurions voulu que lui même pût nous accompagner; mais il est retenu par la nécessité de renouveler les provisions de toute sorte, et aussi, je le crois, par le désir de veiller sur la barque et de protéger son bien et le nôtre.
Extrait de : Un hiver en Egypte 1860
Eugène Poitou